feelin' a little tipsy (pomme)

Ce jour là j’avais eu la visite de trois clients. La première désirait être aimée. Le second voulait guérir, et la troisième voulait oublier. Moi j’étais là, dressé comme un extravagant, frénétique fanatique errant entre les étagères de mon herboristerie.‌ Quelle bonne journée. Lorsque mes yeux et mes doigts impatients abordaient une multitudes de fioles avec fièvre; s’évadant, hésitant, palpant et s’évadant encore… c’était alors que j’étais phase avec mon ego créatif. A vrai dire à ce moment là, je n’avais d’esprit que pour la scabiosa graminifolia sur laquelle j’avais fait main basse. Cette beauté volage avait le potentiel d’un philtre d’amour des plus exquis, si tant est que je l’accompagne des arômes adéquats.‌ Une équation à ma mesure.

C’est alors que pour une première fois, la clochette tinta. Je balayais la distraction d’un geste, bien trop absorbé.

 _ Chasta mon cher, pourrais-tu ?‌

Pas de réponse. Ce bon assistant était déjà auprès de notre client.‌

 _ Quel genre de soupe aux géraniums m’avez vous fourgué ? C’est une honte ! Affreux ! Rien n’a fonctionné, tout est fichu… tout est fichu ! s’ensuivit des sanglots troublant flanqués d’autres éclats de colère.

J’eus soudainement la vague à l’âme, pauvre chose. Hélas, le plus puissant des philtres d’amour ne pouvait rien contre la maladresse humaine. Ces humains tendaient à croire que ma magie compensaient leur hébétude. Mais c’était de bonne guerre. Aussitôt, j’accourais et essuyais ses larmes. Pour elle, une embrassade des plus chaleureuses était le meilleur remède, fort bien, j’étais un herboriste versatile. Chasta, toute chose, dévala dans la remise.

 _ Rhiodola, écorce de cannelier, rondelle de citron, graines de chanvre et millepertuis ! j’assénais à la volée, accompagnant notre bonne femme vers un fauteuil; “et une infusion aux coquelicots pour moi.”

Je pris place face à elle et croisait les jambes, je pouvais bien faire un peu de temps pour les cœurs brisés.

 _ Je… je ne comprends pas. Tout allait bien, elle a bu le philtre, jusqu’à la dernière goutte ! Puis, elle m’a regardé… je l’ai regardé…‌ et elle est partie. Elle était déçue, je l’avais vu dans son regard. Vous savez quel genre d’effet ça fait ?‌ L’amour de ma vie… C’est comme si elle avait deviné ! Elle est partie monsieur Pomme, elle…

Mon fidèle assistant lui tendit sa tisane qu’elle saisit de ses deux mains trempées d’émotions. Avec ceci, il lui tendit un mouchoir et s’évapora de nouveau. Moi, je pensais.‌ Peut être que ma scabiosa aurait pu éviter l’incident, peut-être même pouvait-elle redresser l’ennui. Mais… allais-je la lui offrir ? Sirotant mes pétales infusés, j’observai mademoiselle Oiseau prendre une première gorgée de sa mixture. Puis une seconde. Comptant les secondes du bout des lèvres, j’avais le regard affûté, une paire d’yeux inquisiteur; incapable de cacher ma passion.

 Progressivement, sa respiration se tempéra, ses épaules retombèrent, elle vint finalement reposer son dos dans le dossier du fauteuil.‌ Sa voix cessa finalement de trembler.‌ Ses pupilles dilatées se posèrent sur sa potion.

 _ Magique, n’est ce pas ?

 _ Qu’est ce ?

 _ Ce dont vous avez besoin.

D’après la recette; on y trouvait un peu de force, du courage à foison, assez de réconfort et suffisamment d’espoir.‌

Elle soupira, reprit une gorgée.

 _ Vous m’en ferez des sachets ?

 _ C’est déjà fait.

Elle hocha lentement la tête.‌ J’étais content. Nous restâmes assis au milieu de la boutique encore longtemps. Puis finalement, elle trouva un peu de courage dans le fond de sa tasse et se leva. Il était temps pour sa vie de reprendre son cours, il n’était jamais très bon de se calfeutrer dans le fond d’une bulle. Aussi chaleureuse et confortable soit mon herboristerie.

Elle me remercia pour la tisane et me pris une dernière fois dans ses bras. Je souris;

 _ Cela fera trente-cinq livres.