la dame aux fleurs.

« maman t’as appelée comme la plus commune, la plus banale de toutes les fleurs. elle a bien fait. daisy t’es comme, comme une pièce de beckett : tu ne vas pas durer longtemps puis personne ne te comprend. »

a t t e n t e
attente perpétuelle,
d’une chose qui ne se produira jamais.
d’un signe, d’une échappée.
attente les coudes sur le comptoir.
attente le dos contre un meuble.
attend !
ah
     non
             laisse, c’est rien en fait.

et elle ne compte plus les heures qu’elle a passées ; derrière ce comptoir en bois usé. bonjour-merci-au-revoir-bonne-journée ; comme un disque rayé.
et dans ses gestes une fatalité anodine : elle vient là, tous les matins (ou presque) ; enfile le badge, le tablier ; réceptionne les livraisons, organise les quelques rayons. routine chorégraphiée dont un seul spectateur semble se délecter. il est toujours là, dans son fauteuil : le vieux. ( daisy n’a jamais trop sût comment l’appeler, à bien y penser il ne s’est jamais présenté et tout le monde l’a toujours appelé « le vieux »). il la regarde, donc, le vieux, et il se dit que chaque matin il lui donne la clé, celle dorée, qui ouvre la grande porte mais qu’un jour il ne la récupérera pas. qu’un jour elle lui appartiendra. il lui dit : « tu sais, un jour cette clé elle t’appartiendra. puis tout le reste, tout ce qui tu vois là aussi ! tu sais moi je n’ai pas d’enfants. enfin si mais eux n’ont pas de père alors bon… tu vois… enfin, tu sais.. ». il soupire. alors daisy hoche la tête. oui oui, elle sait.
elle trouve ça drôle daisy comme chaque fois que le vieux parle de ses enfants (ceux qui n’ont pas de père) il oublie de finir ses phrases. elle se dit qu’ils sont affreux de laisser leur père comme ça, tout seul. malheureux. elle se dit qu’un parent ça ne s’abandonne, pas. pourtant les siens l’ont fait, l’abandonner. puis sa mère, daisy elle l’a laissée. oui mais c’est différent. c’est pas pareil. daisy ça mère elle a fané, elle a perdue ses couleurs. alors la gamine s’est barrée, elle avait peur de ternir, elle aussi.  

elle continue de l’appeler, une fois par semaine.

((allo. oui. bonjour. ça va ?. moi aussi. ah. non. oui oui. la semaine prochaine. alors à la semaine prochaine. bisous.))

puis elle lui rend visite aussi. lui apporte un bouquet. un chaque mois, toujours d’une couleur différente. comme pour lui redonner des couleurs, la faire fleurir à nouveau. elle se dit qu’elle peut la réparer, peut-être…

daisy et maman elles ne se manquent pas trop. faut dire qu’elles n’ont pas grand-chose en commun. elles ont essayé pourtant…
daisy elle sera toujours reconnaissante envers maman. parce que maman l’a choisie, adoptée. littéralement. reconnaissante et désolée, désolée de ne pas être suffisante : mauvaise pioche maman, t’aurais sûrement dû retenter ta chance…
mais dans le fond daisy elle en veut à maman. (autant, sûrement, que maman en veut à daisy.) elle lui en veut de ne pas être assez. (pourtant elle n’y peut rien). elle lui en veut à cause du rien.

oui, du rien. du vide. du vide qui est partout. qui lui colle à la peau et qui lui rentre dans la tête. du vide qui ternie tout. du vide où il ne se passe rien. de son vide quotidien.

daisy elle est vide, vide comme la grosse jarre à pourboire. parce que dans la vie de daisy, il ne se passe rien, jamais. (c’est ce qu’elle pense, ce qu’elle dit).

elle rêve d’aventure, de grands voyages daisy. mais elle n’a pas les moyens. puis elle irait où daisy ? hein elle irait où ?
nulle part. elle n’ira nulle part. parce que maman est ici et le vieux aussi. parce qu’il faut ouvrir la grosse porte et faire des bouquets. des bouquets qui disent pardon, qui disent je t’aime, qui disent tout ce que daisy pense qu’elle ne dira jamais.

mais dans la bouche un arrière goût métallique, toujours. quelque chose est sur le point de changer elle le sait, peut le sentir !
elle reprend ses couleurs daisy, toutes ses jolies nuances et elle sourit. elle sourit parce qu’elle se dit qu’à tout moment la porte pourrait s’ouvrir. que la porte va s’ouvrir et que enfin, ô enfin, quelque chose se produire.
c’est juste là sur le seuil.
elle le sait, peut le sentir…


si seulement elle savait daisy, comme elle a voyagé... avant... quand elle était poucette... elle était courageuse daisy ! vaillante ! elle en a vu des jolies choses daisy. puis elle a connu l'amour aussi, enfin elle croit. mais elle ne sait plus daisy, plus personne ne sait. il ne lui reste plus que les fleurs à daisy, les fleurs que plus que tout elle chérit.