je préfère crever que mourir d'ennui. (indra)

La nuit apparaissait un peu plus à chaque pas qu'elle faisait. Le brouhaha des dock l'empêchait de réfléchir correctement et, perdue dans ses multiples pensées, elle ne s'intéressait même plus à ce que faisait ses gars. Elle n'avait plus le temps de penser comme le commun des mortels, trop emporté par le pouvoir qui les surpassait, elle ne pouvait plus rester ici. Elle étouffait, ses poumons ne lui demandaient qu'un peu plus d'air pour tenter de supporter toute la pression qui l'accablait au sol. Elle devait quitter le navire pour la soirée, penser à autre chose, arrêter de réfléchir, agir comme une femme de vingt-sept ans, devenir immature. Elle savait bien sûr qu'elle n'en était pas capable. La maturité lui était tombé dessus comme un fardeau alors qu'elle n'avait pas encore passé l’adolescence.

Saleté de vie.

Elle accélérait le pas, rejoignant son espace. Il était encore là, penché sur ses plans trop nombreux, tentant de tenir le bateau pour eux deux. Il savait la vague qu'elle tentait d'éviter et il était toujours présent pour elle, toujours là, à porter son fardeau, à l'épauler, confiance aveugle qui virait même à l’obsession. CHARYBDE . « Je pars. » Il acquiesce, ne daigne même pas à relever la tête. Il sait plus sur quel pied danser avec Scylla. La bipolarité semblait l'emportée, l'empêchant de réfléchir et pourtant, dans sa tête, tout était clair. Elle suivait son chemin, pensant fermement que son destin était déjà tracée et que son temps parmi les mortels était compté.

Bientôt, elle ne serait plus que fumée.

Elle rejoint la nuit noire, son amie de toujours, éclairée par la faible lumière des réverbères qui vacillent. Le regard perdu au loin, elle se laissait simplement porté par le vent qui jouait avec sa crinière argentée. Elle qui vivait quotidiennement dans le silence se sentait oppressé par celui de la ville. Elle avait besoin de bruits, de chaleur, de désir et autres pensées enivrantes.

Elle voulait vivre.

C'est ce qui l'incita à faire machine arrière, à ne pas prendre le chemin habituel vers son navire. Scylla avait besoin d'une nouvelle aventure, d'exaltation. Elle filait droit vers le pub qui s'illuminait parmi toutes ses devantures fermées, englouties dans une obscurité permanente. Elle savait qu'elle croiserait forcément quelqu'un qu'elle connaîtrait. Impossible pour elle de passer inaperçue dans un lieu si populaire et si proche de ses dock fétiches. Et pourtant, elle passait devant sans jamais s'arrêter habituellement, habité par ses propres fantômes qui l'empêchaient de suivre un autre chemin.

Elle déviait.

La porte claquait derrière elle, mais personne ne fit attention et elle eut la douce impression d'être une inconnue, une cliente parmi tant d'autres, une amie venant retrouver sa bande, une inconnue cherchant l'homme de ses plus chastes pensées.

Son regard parcourt l'assemblée, elle se sent frivole parmi ses inconnus. Un petit écrin de verre, facilement cassable en mille morceaux, nettoyé à coups de balais, oublié. Et puis, elle croise son regard. Elle l'aurait reconnu parmi tous les Saint, incapable de passer inaperçu dans une foule aussi danse.

Elle s'installait face à lui, un sourire en coin, rare moment de joie, dans sa journée. Elle imaginait parfaitement Indra ici, à l'aise, dans son élément, passant de table en table en souriant, récupérant quelques pièces au passage, un clin d’œil et une fuite rapide, sans un bruit, dans le plus grand silence de ses pas. « Je t'imagine totalement dans un coin pareil. J'espère que les prises sont bonnes. » La cigarette à la main, elle l'embrasse, souffle un coup, reprend sa respiration, se laisse emporter par les odeurs autour d'elle. Son regard se repose sur Indra. Elle sait qu'elle a beaucoup de chance d'avoir ses faveurs, elle le tient dans son filet et elle apprécie, Elle sait aussi qu'il est particulièrement prometteur dans son domaine et qu'ils ont besoin l'un de l'autre tout en restant indépendant. Et puis, même si elle ne peut pas lui faire entièrement confiance, il est l'un de seuls qui se rapprochent vraiment du terme ami aux yeux de Scylla.

Et pour rien au monde, elle ne voudrait l'échanger.